Les Figures de la cruauté

SÉMINAIRE 2014-2015

Sous la direction de Michel Gad Wolkowicz

ARGUMENT

Les Figures de la cruauté se sont comme imposées dans la continuité des thématiques des précédents colloques et publications : Un monde en Trans — Transfert de transferts ou d’une hypocondrie du contemporain ; La Force du Nom ; Tensions et défis éthiques dans le monde contemporain ; La Psychologie de masse aujourd’hui ; Présence de la Shoah et d’Israël dans la pensée contemporaine ; L’intergénérationnel, Shoah/Israël, Nom sacré/Nom maudit — Généalogie de la haine/Transmission de la mémoire et du traumatisme ; États du Symbolique — Depuis « L’Homme Moïse et la religion monothéiste », en passant par Freud, Rothko, Appelfeld… Droit, Loi, Psychanalyse.

En effet, la cruauté est omniprésente dans nos actualités : dans les terreurs et massacres qui se répandent dans le monde, dans ce que nous entendons de la vie familiale, scolaire, du milieu du travail, des faits « divers », dans les univers médiatiques et virtuels (« informations » télévisées, films, jeux vidéos…). Elle fait partie des tendances élémentaires avec lesquelles chaque homme, chaque société doit composer. On la retrouve comme enjeu dans le développement de l’enfant, dans les relations d’objet, dans le rapport à l’autre et dans certaines expériences adolescentes liées aux difficultés de symbolisation et d’identité ; on la retrouve aussi dans les étapes d’une civilisation, dans les rituels structurant la vie d’une société et des sociétés ensemble (le sacrifice, la guerre en témoignent) ou encore dans les œuvres d’art, dans la littérature ; la place que lui font une époque, une pensée, peut caractériser un état de civilisation et de culture — ou de barbarie.
Aborder notre époque avec la cruauté comme symptôme, comme notion psychopathologique et indice culturel, en rappelle la dimension subjective et interroge la part de jouissance prélevée dans sa mise en scène par chacun, de sorte que le mal et la violence apparaissent non plus comme des abstractions métaphysiques ou sociologiques mais comme des réalités psychiques, affectant des sujets (individus ou groupes). Dans cette démarche, il sera opportun de différencier la cruauté du mal (à propos duquel nous interrogerons le concept de « banalité du mal » et la place prépondérante qu’il a prise dans le débat d’après-guerre), des pulsions de mort ou d’emprise, de la destructivité, du sadisme. 
En ce sens, nous proposons au départ de notre réflexion les remarques suivantes : La cruauté se caractérise fondamentalement par la jouissance perverse narcissique du pouvoir sur l’autre et d’emprise sur le psychique ou sur le réel du corps. Elle s’agit souvent en groupe, en masse. Avec sa quête de toute-puissance et d’illusion d’intégrité, elle constitue le ciment des régimes totalitaires et des organisations intégristes terroristes.

Les actualités nous apportent des exemples de la cruauté à laquelle se livrent les hommes en masse ; mais, en deçà des « conflits » armés, elle surgit dans le cours « ordinaire » des sociétés. Nous retiendrons à ce titre le traitement infligé à Ilan Halimi par ceux qui l’ont pris en otage, torturé, assassiné, par ceux qui se sont tus ; mais aussi nous analyserons ce qu’a traduit et révélé le film qu’en a donné Alexandre Arcady jusque dans les réactions des instances professionnelles (commissions de financement, critiques) et du public.
Nous interrogerons le rôle que jouent la modernité technologique et son univers hyper-spectaculaire et spéculaire dans la production des représentations et les modalités d’expression des manifestations contemporaines de la cruauté, via les écrans. Que soient ainsi favorisés l’accès et la diffusion d’images confondant le réel et le virtuel, la temporalité et l’historicité, la satisfaction ou la panique immédiates, la crudité du langage, la domination de la sensorialité, correspondrait-il à une résistance — régressive — à un travail psychique de métaphorisation, d’abstraction, à l’intellectualité et à la transmission, entamant les limites par lesquelles le « travail de culture » régule le jeu pulsionnel ? Les médias, leurs opérateurs et leurs spectateurs ne contribuent-ils pas à cette course à la jouissance tant par leur ambiguïté voire leur complicité dans la spécularisation et la théâtralisation des mises en scène de « l’information », que par leur cynisme à jouer de l‘émotion facile, du mimétisme grégaire, plutôt que de pratiquer l’enquête et l’analyse approfondies et historicisantes des faits et situations ? Il faudra se demander ce qui relie entre eux l’homme cruel, celui qui propage ses images, son scénario, et leur spectateur.

Michel Gad Wolkowicz & Thibault Moreau, pour le Comité Éditorial.

Comité Scientifique 
Michel Gad Wolkowicz, Thibault Moreau, Jacques Amar, Patrick Bantman, Isi Beller, Marc Cohen, Raphaël Draï, Jean-Jacques Moscovitz, Philippe Robert, Jacques Tarnéro, Monette Vacquin, Simone Wiener, Paul Zawadzki.

PROGRAMME

Jeudi 16 Octobre 2014

Psychopathologie de la cruauté

Place de la cruauté
— chez l’enfant, tant dans son développement psycho-affectif et sexuel que dans les problématiques en devenir ;
— chez l’adolescent, en groupe ou individuellement, dans le rapport aux jeux et vidéos, à l’horreur et au sordide ; le cas des adolescents violents et assassins ;
— chez l’adulte, dans les pathologies perverses et narcissiques, ou dans le fonctionnement paradigmatique des serial killers.

Sous la direction de Michel Gad Wolkowicz

Présidents 
Christian Hoffmann (Professeur de Psychopathologie, psychanalyste) & Michel Gad Wolkowicz (Professeur de Psychopathologie, psychanalyste)

Intervenants 
Bernard Golse (Professeur de Pédo-psychiatrie, psychanalyste) ; Sam Tyano, (Professeur de Pédopsychiatre, Expert) ; Jean-Pierre Winter (psychanalyste) ; Daniel Zagury (psychiatre, Expert près les Tribunaux)

Discutants 
Patrick Bantman (psychiatre, psychanalyste) ; Isi Beller (médecin, psychanalyste) ; Didier Lippe (psychiatre, psychanalyste) ; Corine Ehrenberg (psychanalyste) ; Sylvie Méhaudel (pédo-sychiatre, psychanalyste) ; Jocelyne Malosto (psychanalyste) ; Jean-Jacques Moscovitz (psychiatre, psychanalyste) ; Claudine Cohen (psychiatre) ; Hervé Movschin (psychiatre, psychanalyste) ; Philippe Robert (psychanalyste, thérapeute familial) ; Valérie Roumengous (psychologue, psychanalyste) ; Danielle Tchenio (pédo-psychiatre) ; Simone Wiener (psychanalyste) ; Élisabeth Aidane (pédo-psychiatre)

Jeudi 18 Décembre 2014

Sous la direction de Michel Gad Wolkowicz

La cruauté dans la culture

… de Montaigne à Bataille, en passant par Sade, Artaud, Poe, Baudelaire, Céline, Genet — cultures de la cruauté (esthétisation, banalisation, jouissance…) ; le mouvement de la banalisation du mal.

Présidents
Raphaël Draï (Professeur de Droit et de Sciences politiques) & Jean-Pierre Winter (psychanalyste)

Intervenants
Eugène Enriquez (professeur de sociologie) ; Éric Marty (Professeur de Littérature moderne, essayiste, écrivain) ; Paul Zawadzki (Professeur de Philosophie et de Sciences politiques, sociologue)

Discutants
Jacques Amar (Maître de conférences HDR en Droit, Dr en sociologie) ; Michaël Bar Zvi (Professeur de philosophie, essayiste) ; Patrick Franquet (psychiatre, metteur en scène de théâtre) ; Georges Gachnochi (pédopsychiatre, psychanalyste) ; Fanny Gerber (psychanalyste) ; Thibault Moreau (psychologue clinicien, psychanalyste) ; Isy Morgensztern (cinéaste, enseignant en science des religions) ; Rachel Rosenblum (psychiatre, psychanalyste) ; Cosimo Trono (Psychanalyste, Éditeur).

Jeudi 12 Février 2015

Sous la direction de Michel Gad Wolkowicz

24 jours. La vérité sur l’affaire Ilan Halimi

Projection du film d’ Alexandre Arcady en présence d’Alexandre Arcady (cinéaste),
suivie d’un débat :
Le film d’Alexandre Arcady retrace l’enlèvement, les tortures et l’assassinat d’un jeune homme, Ilan Halimi, choisi parce que Juif par ses meurtriers, le « Gang des barbares », nourris des stéréotypes les plus archaïques et les plus actuels de l’anti-judaïsme, attribuant aux Juifs la possession exclusive d’un trésor, celui du Symbolique, responsable de leur manque-à-être métonymisé en termes d’avoir. 
Il rend visible, analysable l’idéologie et le fonctionnement de ces assassins, il interroge la complicité et le silence d’une cité.
Il soutient la gageure de rendre compte de la cruauté dans un événement (social, psychique, politique), proposant, entre jouissance et indifférence, l’espace d’une identification propice à l’analyse et à la réflexion.

Jacques Tarnéro a écrit, dans sa critique du film d’Alexandre Arcady : « Cette horreur s’est passée près de chez vous. »
Le meurtre d’Ilan Halimi a-t-il éveillé les consciences ? 
Et ceux commis à Toulouse par un jeune Français islamiste tuant de sang-froid trois enfants Juifs pour la seule raison qu’ils étaient Juifs, assassinant le rabbin Sandler, père de deux d’entre eux, ainsi que trois militaires français. 
Non, au contraire ! Il aura commis ces crimes pour « venger la mort d’enfants palestiniens » soutiendra le journaliste Aymeric Caron, sur la chaîne publique dans une émission vaudevillesque du samedi soir, et aura « tué les soldats parce qu’ils représentaient l’armée française en guerre contre les islamistes afghans ».
Huit ans après son assassinat un humoriste fonde son succès sur un spectacle explicitement antijuif — et l’on ergote sur la liberté d’expression pour ce type de propos ? 
Il y a quelque chose d’énigmatique dans ce qui fonde ces attitudes, dans leur répétition, dans leur obsessionnalité. Toute la force du film d’Alexandre Arcady est d’en avoir montré la sinistre banalité. 
Dans cette cité de banlieue où fut séquestré Ilan Halimi, pas le moindre réflexe d’humanité. Vivant dans un univers hors humanité, totalement dépourvu de l’idée de Bien ou de Mal, tous ont laissé faire, ont joué le jeu, en ont rajouté dans les gestes sadiques. À qui avons-nous affaire ? Qui sont ces hommes ? De quoi sont-ils le produit ? « Ceci s’est passé en France en 2006 » : ce sont les premiers mots de la mère d’Ilan dans le film. 
Quelques générations après le nazisme et les « plus jamais ça » scandés au cours des manifestations incantatoires, voilà que le « ça » est à l’œuvre, du côté de chez nous, et insulte, torture et massacre et actes génocidaires.Retour ligne automatique
Ce miroir est terrifiant comme est terrifiant le refus de le regarder en face et de le nommer, de le qualifier.
Qui est descendu dans la rue alors, ainsi qu’après l’assassinat des trois adolescents en Judée-Samarie, les tueries de Toulouse, de Bruxelles, les massacres en Syrie, en Irak, des chrétiens sur Mossul, des écoliers au Pakistan, des jeunes filles au Nigéria par Boko Haram… ?

Pourquoi la Justice a-t-elle refusé dans un premier temps de retenir la qualification de crime antisémite pour l’assassinat d’Ilan Halimi pour n’en garder que la qualification de crime crapuleux ? 
Ces actes barbares sont nourris d’une psychologie de masse qui s’appuie à la fois d’une forclusion de la Loi, d’une inculture, de l’idéologie islamiste qu’une pensée occidentale politiquement correcte et rationalisante laisse venir.
Quelle part ont prise les lancinants discours médiatiques et politiques dans la constitution de ce climat favorisant la banalisation et le déni de l’antisémitisme, par exemple en attisant le feu de la détestation d’Israël ?
Qu’est que la Société (institutions familiales, culturelles, judiciaires, sociales, soignantes, scolaires, etc.) n’a pas vu et ne veut pas voir de son échec à discerner, endiguer cette jouissance de l’illimité, cette ultraviolence.

La cruauté à l’œuvre dans ces massacres sauvages survenus en ce début d’année démontre bien qu’est en jeu une conception de l’homme davantage que la liberté d’expression.

Michel Gad Wolkowicz & Thibault Moreau, pour le Comité Éditorial.

Présidents 
Jacques Tarnéro (sociologue, essayiste, documentariste) & Jean-Jacques Moscovitz (psychiatre, psychanalyste)

Discutants
Raphaël Draï (professeur de Droit et de Sciences politiques) ; Florence Ben Sadoun (journaliste) ; Marc Nacht (psychanalyste) ; Jean-Pierre Winter (psychanalyste) ; Frédéric Encel (Maître de Conférence HDR de sciences politiques) ; Pascal Bruckner (philosophe, écrivain, essayiste) ; Eugène Enriquez (Professeur de sociologie) ; Éric Marty (Professeur de Littératures modernes, essayiste) ; Marc Cohen (médecin-gériatre) ; Mickaël Prazan (cinéaste) ; Georges-Elia Sarfati (Professeur de sémiotique, linguiste) ; Monette Vacquin (psychanalyste) ; Paul Zawadzki (Professeur de philosophie et de sciences politiques) ; Danièle Brun (Professeur de Psychopathologie, psychanalyste) ; Pierre-Antoine Chardel (Professeur de philosophie et de sociologie) ; Patrick Bantman (psychiatre) ; Thibault Moreau (psychanalyste) ; André Sénik (philosophe) ; Hervé Movschin (psychiatre, psychanalyste) ; Daniel Sibony (psychanalyste) ; Georges Bensoussan (historien) ; Simone Wiener (psychanalyste) ; Daniel Zagury (psychiatre, expert près les Tribunaux) ; Michel Gad Wolkowicz (Professeur de Psychopathologie, psychanalyste), et les membres du Comité Éditorial de Schibboleth — Actualité de Freud —

Jeudi 19 Mars 2015

Sous la direction de Michel Gad Wolkowicz

La cruauté dans les cultures et les idéologies

Présidents de séance

Jacques Tarnero (essayiste, sociologue, cinéaste)
Paul Zawadzki (Professeur de philosophie et de sciences politiques),

Conférences

Marc Nacht (psychanalyste) 
« Le théâtre de la cruauté » 
L’avenir de l’illusion analysé par Freud a produit un avenir sans illusion d’une civilisation ayant régressé bien en deça du malaise.

Daniel Sibony (psychanalyste) 
« Cruauté et perversion »
En parcourant un champ d’exemples variés, on montrera comment tout effet de cruauté se rattache à un montage pervers, le fait majeur de ces montages étant la loi narcissique et l’exclusion du Tiers comme tel.

Andre Senik (Professeur de philosophie) 
« Une cruauté incroyable, impensable, mais explicable »
Raymond Aron, à propos de la Shoah : « Je l’ai su, mais je ne l’ai pas cru. Et parce que je ne l’ai pas cru, je ne l’ai pas su. » 
David Rousset, à son retour des camps : « Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible ». 
Deux témoignages qui nous rappellent qu’en raison de leur cruauté, les crimes contre l’humanité du XXe siècle n’ont pas été crus sur le moment, et ils sont entrés ensuite dans le domaine de l’impensable.
Quelle est la raison de cette impossibilité ? Comment deux idéologies — le communisme et le nazisme — ont-elles rendu possible cette cruauté incroyable et impensable.

Georges-Elia Sarfati (Professeur de sémiotique, linguiste) 
« La cruauté, catégorie organisatrice des systèmes agresseurs »
Le vocable comme la notion de cruauté, sont l’un et l’autre distinctifs de l’expérience humaine. En deçà ou au-delà des idiomes, la cruauté s’impose comme la catégorie organisatrice par excellence de cette économie du lien social que la victimologie qualifie de « systèmes agresseurs » : antisémitisme, racisme, sexisme, homophobie, etc. La sémantique du vocable est questionnée, en regard de son champ notionnel, tandis qu’à l’autre pôle du questionnement apparaît la dimension symbolique de la cruauté, au titre d’institution destructrice sous-jacente à la civilisation.

Discutants

Raphaël Draï (Professeur de Droit et de Sciences Politiques), Marc Cohen (Médecin, Gériatre), Monette Vacquin (psychanalyste), Janine Altounian (essayiste, écrivain, traductrice), Thibault Moreau (psychanalyste), Sophie Nizard (Maître de conférences, Chercheuse en sociologie), Michael Bar Zvi (Professeur de philosophie, essayiste), Éric Marty (Professeur de Littératures modernes, essayiste), Hervé Movschin (psychiatre, psychanalyste), Patrick Bantman (psychiatre), Simone Wiener (psychanalyste), Monique Selz (psychiatre, psychanalyste), Eugène Enriquez (Professeur de sociologie), Pierre-Antoine Chardel (Professeur de Philosophie Sociale et d’Éthique, Sociologue), Jean-Pierre Winter (psychanalyste), Philippe Robert (Professeur de Psychologie Clinique, Psychanalyste), Didier Lippe (Psychanalyste), Michel Gad Wolkowicz (Professeur de psychopathologie, psychanalyste).

Présentation

1. Parcours du séminaire

Le Séminaire Figures de le cruauté en vient à sa quatrième session : 
– après la psychopathologie de la cruauté (reliant le développement de l’enfant, les problématiques adolescentes, avec les mécanismes narcissiques et pervers chez les tueurs en série et les meurtriers de masse) ;
– puis la cruauté dans la culture et de la culture, quand la littérature dépeint la cruauté, en raconte ou en procure l’expérience (avec, en exemple, le rire du bourreau chez Genet et, chez Sade, la jouissance de la mise en scène, de la rationalité instrumentale, l’emprise sur le féminin et la clôture du désir, symptomatiques de la quête de jouissance illimitée, de la perversion de la Loi), quand les organisations sociales en abritent et en codifient l’usage (avec en exemple la cruauté ordinaire des organisations, administrations, bureaucraties, etc.) ;
– et dernièrement les attaques de l’ordre du Symbolique (Loi, paternité, langage…) mis en évidence dans un état des lieux, des langues, de la pensée, des discours fanatiques et des passages à l’acte meurtriers et terroristes génocidaires — à partir de la projection du film 24 jours. La vérité sur l’affaire Halimi ;

l’étude se tourne vers : la cruauté dans les idéologies, dans les cultures.

2. Culture et idéologie face à la cruauté : Actualité de Freud

Au fond, comment se construit une culture ? Qu’est-ce qui fait peuple, fonds commun autour d’une Loi, au travers des mythes fondateurs, l’intériorisation d’un Surmoi inconscient, un récit et des identifications partagés et conflictualisable, une vérité historique participant de sentiments d’identité intérieure et d’appartenance fiables et mobiles, véhiculé par un système de parenté, d’échanges, par un désir et selon des modalités de transmission, dans le fil tressé d’une tradition ?
La Culture peut être assimilée à une « Psyché collective », selon la formule de Jacques André, en tant que productrice et résidence d’idéaux, par lesquels le collectif vient inscrire sa marque dans l’intimité du Sujet. Ce serait par ce biais de l’Idéal du moi que l’Inconscient de chacun est aussi fonction du discours général. Elle participe, selon Freud (L’Homme Moïse et la religion monothéiste,1938) à la conquête de l’intellectualité-spiritualité aux dépens de la domination de la sensorialité et de la perception et de la satisfaction immédiates, ayant le pouvoir de contenir, de transformer la destructivité humaine, les pulsions thanatophiles, et d’acquérir la capacité de penser jusqu’au déshumain et la banalisation de la banalité du mal. Ce « progrès dans la vie de l’esprit » qui qui définit le « travail de culture » [kulturarbeit], peut-il, avec l’instance œdipienne et les formations tierces transitionnelles, contre-balancer le mortifère et sa compulsion de répétition, éviter la force du déni, du clivage, des projections, avec les tentations intégristes, nihilistes et démonologiques ? La fonction de la culture serait d’intriquer principes de plaisir et de réalité, la raison et la reconnaissance des processus de subjectivation, face à la psychologie de masse, sans mémoire ni langage, l’idéalisation narcissique dépourvue de soif de vérité, mettant a l’oeuvre la question de la responsabilité individuelle et collective, de pensée et d’action. Des idéologies s’élaborent au sein et dans le cours de l’évolution d’une culture participant, ainsi que le moi d’un sujet, d’une fonction synthétique d’auto-conservation et de cohésion sociale dans une visée asymptotique des idéaux, et de configuration globalisante et résolutive du monde, d’un cadre de pensée en un champ du transfert et d’ouverture à la sublimation, à la créativité, à l’inconnu. En quoi comportent-elles le risque de se symptômatiser dans un rapport à la généalogie de la culture, d’une régression en illusion groupale et idéalisation narcissique, en psychologie de masse, de se constituer en système clos, paranoïaque et totalitaire, « l’ontogénèse répétant, selon Freud, la phylogénèse », des réminiscences de l’héritage archaïque, de points de refoulement et de forclusion dans la construction de l’originaire – ce que Marc Bloch nommait la « hantise des origines- dans l’anéantissemnent de la filiation, de l’étrangeté du langage, du fantasme, de tout trouble de pensée, devant des craintes primitives d’effondrement ?
« Nous pouvons traiter les peuples comme l’individu névrosé (ou pervers, psychotiques) actualisant des traits d’une psychologie collective antérieure », écrit Freud dans Dans Totem et Tabou, analysant les productions et formations, l’imaginaire sous-jacent, comme des symptômes. Dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste (1938), il constate que « le progrès a conclu un pacte avec la barbarie. » L’histoire jusqu’à l’actualité interroge la persistance et l’évolution de certaines cultures permettant la vie et des liens en société entre les individus, et le développement singulier de ceux-ci, et les fixations ou régressions de certaines autres, ainsi que les moments féconds dans le cours de chacune. Qu’est-ce qui fait peuple ou qui fait masse ?

3. Position de la problématique

Ainsi des cruautés monstrueuses (enlèvements, viols, conversions de force, esclavage, décapitations, massacres de masse) se donnent de plus en plus en spectacle, diffusées en boucle sans éthique et temps de réflexion, provoquant effroi, complaisance, compréhension et accoutumance complices. 
Concomitamment se déploient avec constance et comme à bas bruit une cruauté ordinaire via tous les types d’organisations humaines, etc. 
Un point commun de ces deux registres de cruauté est la destruction — des sujets, des corps, des histoires, des libertés, des savoirs, des lois, etc — exercée par des hommes aux dépens de leurs semblables.
Kertesz nommait le 20è siècle celui du totalitarisme et des liquidations permanentes, nazisme, communisme, le 21è étant dominé par l’obscurantisme, le fanatisme, et la terreur islamique, trouvant d’énigmatiques et ferventes alliances en les idéologues progressistes et des Droits de l’Hommisme anti-racistes et anti-fascistes, du sociologisme et d’une culture du pur narcissisme, chez qui les signifiants du « choc des civilisations » sonnent comme une agression idéologique contre tout ce que la pensée généreuse compte d’esprits saints. La publication des Cahiers noirs de Martin Heidegger, la récente pleine page dans Le Monde accordé à l’icônique polpotiste Badiou, ne font qu’aiguiser la question de la place chronique de ces postures dans notre occident, et, ainsi que Tocqueville avait commencer à la décliner, des capacités des démocraties modernes de se défendre. Comment combattre cette psychologie de masse au point que l’humanité ne menace de basculer dans le chaos de Béhémoth, et alors que la Shoah, la « solution finale », a concrétisé l’aboutissement d’un noyau, entre l’écorce et le tronc, dans la culture européenne ?

4. Conséquences et questions

Qu’en est-il lorsqu’on examine la régression sous l’angle d’une dynamique collective ? « Nous avons un avenir de la désillusion ». Nathalie Zaltzman écrit sur le moment d’une civilisation, définie comme instance de lucidité psychique, qui se décompose, ne peut plus discerner, penser le bien et le mal, démontrant comment la référence au mal met en évidence, autrement que la référence à la pulsion de mort, l’impact de la psychologie de masse dans l’inconscient : « Mais le XXe siècle a connu une régression d’une autre nature, un état de confusion entre le sujet et la masse », entre Eros et Thanatos. Les meurtres collectifs, les massacres ont-ils remplacé les sacrifices humains que les Hébreux avaient justement abolis ? Nathalie Zaltzman 
La destruction de l’Histoire et la généralisation du meurtre qui est à l’ oeuvre dans la nouvelle barbarie, trouvent-elles dans nos démocraties depuis des années, aujourd’hui comme hier, écho et complicité ? Idiots-utiles, comme les nommait Lénine ! Le décryptage des discours et des réalités, des idéologies politiques ou religieuses, mais aussi aujourd’hui psychanalytiques, comme « fausse conscience et réification de la pensée » (de l’islamisme, du marxisme, du scientisme, de la haine du féminin et du Juif..) passe par l’analyse d’ un clivage défensif, entre idolâtrie et indifférence, des filiations de pensée, des alliances et des points d’accroche dans les sphères médiatiques, par imaginer les conséquences extrêmes et exterminatrices de moments de « parricide de masse », dans un contexte de dégradation des référentiels symboliques. Il s’agit de questionner ce que l’homme fait à l’homme, avec la passion du pouvoir ou d’une Cause, et alors que la culture européenne, pourtant, semblait porteuse de valeurs qui auraient dû prévenir le désastre. Si la modernité a provoqué un relativisme qui rend la démocratie impuissante pour lutter efficacement contre la barbarie, c’est parce qu’elle a placé ses espoirs dans une raison coupée d’une réflexion sur la fin de l’homme et sur le but de son existence, et, comme le montre le film sur l’enlèvement et le meurtre d’Ilan Halimi, et parce qu’elle souffre de la difficulté, l’inhibition à penser la cruauté et l’œuvre du déshumain.

Michel Gad Wolkowicz & Thibault Moreau, pour le Comité Éditorial.

Jeudi 21 Mai 2015

Sous la direction de Michel Gad Wolkowicz

L’anéantissement de la Guerre ! Faire face à la barbarie ?

Présidents 
Georges Bensoussan( (Historien, Directeur éditorial au Mémorial de la Shoah)Retour ligne automatique
Michel Gad Wolkowicz (Professeur de Psychopathologie, psychanalyste)

Conférenciers 
Frédéric Encel (Professeur de Géopolitique)
« De quoi le terrorisme islamiste est-il le nom ? » Angles : Constantes et changements par rapport aux terrorismes noir et rouge ; Convergences et divergences entre différents djihadismes ; Nos armes face au fléau.

Jacques Tarnéro (essayiste, sociologue, cinéaste)
« Douce cruauté ou la bonne conscience meurtrière » 
Comment les mots de la justice, de l’ émancipation, de la liberté servent d’habillage aux pratiques de terreur.
Le nazisme ne prétendait pas à la libération du genre humain pour une raison première : sa vision bio politique de l’espèce humaine hiérarchisait entre les hommes pour distinguer ceux qui devaient dominer de ceux qui devaient être asservis ou exterminés. Par contre le projet communiste s’inscrivait dans les catégories de l’Universel et visait à la libération de l’espèce humaine des chaines des possédants, des esclavagistes, des colonisateurs. On sait ce qu’il en fut. 
De nos jours c’est encore à l’abri de la compassion pour les opprimés que se multiplient les pratiques meurtrières souvent avec la complicité aveugle de ceux qui y voient une rédemption des crimes passés du colonialisme. Le goulag pour la liberté, la terreur pour le bien, les moyens barbares pour la justice : la confusion des temps présents impose un retour sur les discours tenus depuis que s’est mise en place l’idée d’une justice universelle. S’agit il d’une impossible utopie ? »

Jean-Jacques Moscovitz (psychiatre, psychanalyste) 
« Cruauté collective et/ou individuelle… Torture, survie, silence ». Des témoignages « cliniques » (Jean Améry notamment) nous mèneront à questionner comment faire rempart contre la barbarie : droit, psychanalyse, art…

Thibault Moreau (psychanalyste) : « Guerre, terrorisme, cruauté ; meurtre, assassinat, sacrifice »

Discutants 
Bernard Grelon (Professeur de Droit), Jacques Tarnéro (sociologue, chercheur, essayiste, documentariste), Monette Vacquin (psychanalyste), Janine Altounian (essayiste, écrivain, traductrice), Michael Bar Zvi (Professeur de philosophie, essayiste), Éric Marty (Professeur de Littératures Modernes, essayiste), Patrick Bantman (psychiatre), Simone Wiener (psychanalyste), Georges Gachnochi (Psychiatre Psychanalyste), Eugène Enriquez (Professeur de sociologie), André Sénik (professeur de Philosophie), Marc Nacht (Psychanalyste), Pierre-Antoine Chardel (Professeur de Philosophie), Jean-Pierre Winter (psychanalyste), Paul Zawadzki (Professeur de Philosophie Politique)

Argument
« Nous vivons en un temps particulièrement curieux. Nous découvrons avec surprise que le progrès a conclu un pacte avec la barbarie. » (Sigmund Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste). Ce propos pouvait sembler pessimiste lorsqu’il fut écrit, en 1938. Pourtant il y avait eu la boucherie de « La Grande Guerre », organisée par les nations qui enseignaient la civilisation au monde. Elle aura été le chaudron de la destruction en masse qui marquera le XXème siècle. Les emprisonnements, massacres, déportations avaient commencé en Turquie en 1915, puis, dans les années vingt sous le régime socialiste soviétique. Plus tard, Hitler pressentira que les grandes puissances, n’ayant pas réagi au génocide arménien, ne réagiraient pas davantage à l’annonce et à la mise en œuvre de la « solution finale ». 
Dès ses  » Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort  » (1915) et jusqu’à la fin de sa vie en 1939 Sigmund Freud mesure la force et pressent l’orientation du processus destructeur en cours, autant qu’il relativise les espoirs mis dans « la civilisation ». 
La suite des événements lui a terriblement donné raison, bien au-delà de ce qu’il pouvait imaginer : la Shoah, l’extermination des Juifs par les nazis, a eu lieu dans l’indifférence ou avec la complicité du monde dit civilisé. Retour ligne automatique
Au pouvoir ou contre lui, la barbarie poursuit sa guerre mondiale, et emporte des victoires jusque dans les consciences : son spectacle de terreur fascine, une manière de l’expliquer, d’en transmettre les images et discours, la rationalise, la banalise… pour la rendre héroïque, ou simplement humaine.
Ce que la plupart des commentaires journalistiques, ces actes politiques, des opinions publiques ignorent, tels des pacifistes outrés voire affolés ou violents si l’on prononce le nom de guerre — parce qu’ils n’estiment plus le langage et la vérité, mais croient à la magie des mots devenus comme des images ?

Lorsqu’en 1930 Albert Einstein interroge Sigmund Freud : Pourquoi la guerre ?, il le fait avec l’idée que l’homme pourrait en finir avec cette pratique ; que la paix serait une promesse de la civilisation ; que les hommes devraient savoir, avec le progrès, régler leurs différents autrement qu’en se tuant.
Et dans sa réponse Freud poursuit le constat de désillusion que la Première Guerre mondiale l’avait amené à concéder à l’égard de la civilisation (occidentale) : la guerre sera toujours là ; les conditions de sa disparition ne peuvent raisonnablement pas se produire ; le genre humain n’est pas prêt à en payer le prix (de renoncement). Mais pas seulement : pour défendre la civilisation contre la barbarie, la guerre s’impose au non-belliqueux, à deux titres : 
Comme phénomène, parce qu’aujourd’hui, celui qui vous attaque ne vous en demande pas la permission ; on ne choisit pas son ennemi, c’est lui qui nous fait tel, quoiqu’on le dénierait ;
Mais encore la guerre s’impose comme décision, comme acte d’homme et de peuple : elle est un acte de langage ; une guerre se déclare. Cette déclaration est le premier acte de refus à opposer à l’annihilation que tente l’assassin, le terroriste.
La traduction du texte biblique (en l’occurrence, Les Noms, Desclée de Brouwer, 2003) conduit Henri Meschonnic à préciser que l’un des commandements fondateurs est : « Tu ne feras pas de meurtre » ; et non : « Tu ne tueras pas ». Ce qui n’est pas la même chose. De même que tuer en faisant la guerre n’est pas la même chose qu’assassiner.
« Terroriste » est bien le nom de celui qui se détruit en détruisant l’autre, qui détruit l’homme dans l’homme, et qui détruit ce que l’homme a construit de génération en génération pour vivre et se transmettre, pour endiguer sa pulsion d’assassiner : entre autres, les États, les lois de la guerre et de la diplomatie.
Transformer des enfants en bombes est sans doute une des plus terribles figures emblématiques de cette destruction : ce sont leurs propres enfants que les hommes utilisent pour réaliser leur dessein.
C’est ce que révèle cette tentative d’anéantissement de la guerre que notre époque pousse à un point sans doute jamais atteint, qui s’inscrit dans une entreprise de destruction absolue, d’autodestruction.
Un homme (ou une femme) qui sacrifie son fils ne donne-t-il pas l’exemple de cette destruction radicale en ce qu’il perpètre une négation de lui comme père (ou comme mère), une négation de la mort et des générations ; tuer le père en soi est un parricide ; et ce parricide est un parricide de masse en ce que non seulement une masse d’hommes et de femmes pratiquent et glorifient ce geste, mais encore parce que dans leur acte ils s’abolissent comme individus, comme sujets d’une histoire, comme enfants de père et de mère et enfants d’une lignée et s’engloutissent dans le néant de la masse.

Les actes terroristes s’accompagnent d’images et de discours ; leur analyse montre que cette destruction porte sur tous les symboles et principes organisateurs du genre humain ; leurs cibles sont : l’originaire comme construction, les mythes fondateurs comme récit et histoire, les sentiments d’appartenance aux groupes, à l’espèce humaine, l’héritage et la transmission. Ils cherchent à disqualifier le symbolique sous toutes ses formes (disqualification des lois, des frontières, des États-Nations, des accords). Et ils y parviennent triomphalement lorsque lesdits États nations ou les instances par lesquels ceux-ci se font représenter se renient et acceptent de ne pas voir-nommer le crime — dans l’espoir d’éviter la guerre ?
Dans l’acte terroriste, l’homme est tué deux fois, comme adversaire et comme individu. Le meurtre de masse atteint tout sujet individuel ou collectif. Et l’on peut gager que le processus qui conduit l’homme à devenir terroriste est la dilution de la conflictualisation interne : il devient la masse, il se massifie.
Écho de ce qu’écrit Nathalie Zaltzman sur le moment d’une civilisation, définie comme instance de lucidité psychique, qui se décompose, ne peut plus discerner, penser le bien et le mal : « Mais le XXème siècle a connu une régression d’une autre nature, un état de confusion entre le sujet et la masse », entre Éros et Thanatos.

En cela apparaît que tenter de détruire la guerre s’accompagne d’un mouvement qui détruit le langage. Victor Klemperer l’a fait apparaître pour le IIIème Reich. Les conditions du langage sont les mêmes que celles de la guerre ; ainsi la capacité de nommer un adversaire, comme adversaire, mais aussi de lui préserver son nom et son honneur — de ne pas le détruire comme homme. N’est-ce pas cela même qui sous-tend la distinction entre crime de guerre et crime contre l’humanité ? Ainsi le devoir de distinguer le civil et le militaire.

Il est encore un autre point qu’il faut considérer. Le terrorisme contemporain se caractérise par sa mise en spectacle. Cela entraîne plusieurs conséquences. 
D’une part, celui qui déclare la guerre devient très vite le fautif ; l’assassin est soit un héros dont la négativité fascine, soit se cache, en tant que commanditaire (cf. les personnages que sont devenus Mohammed Merah et Ousamma Ben Laden).
Et le guerrier qui se bat pour défendre son pays, les siens, leur liberté est filmé, les victimes de son acte guerrier sont filmées, ce dans une logique sensationnelle qui annule toute dimension historique, de sorte qu’il devient l’accusé.
Un exemple de perversion du terrorisme devant laquelle l’Occident veut demeurer aveugle est l’utilisation des civils comme boucliers humains : lors d’une opération, lorsque de tels civils sont tués, leur mort est portée au crédit non pas des terroristes qui les ont exposés au feu, mais des militaires qui visaient les terroristes. Ainsi dans la guerre qu’Israël a fait aux terroristes du Hamas, le premier, qui s’est efforcé, selon toute vraisemblance, de respecter les lois de la guerre et d’épargner les civils (cf. les tracts, les messages individuels envoyés par l’armée israélienne) a été accusé par les médias français (entre autres) des crimes imputables aux terroristes. En cela, les médias propagent la confusion initiée par les terroristes, qui dans toutes leurs actions, chez eux ou à l’étranger, s’en prennent d’abord aux civils, et font écran des représailles qu’ils s’attirent.

Avec ce qui s’appelle « la guerre en direct », la guerre mute. L’immédiateté, la transparence, la puissance des montages changent radicalement la guerre non seulement dans sa spatialisation, dans sa géographie, mais aussi dans sa temporalité.
La notion de vainqueur et de vaincu, qui permet que la guerre s’arrête, que la paix se signe, est elle aussi transformée. Et en effet, on voit que le chœur médiatique déclare vainqueur celui qui a su tricher avec les lois de la guerre. 
Il en résulte une paralysie des États à se défendre. Les hommes d’État ne peuvent pas être indemnes de ces phénomènes. 
De surcroît cette paralysie se renforce par le détournement des appareils juridiques des droits de l’homme : une législation qui voulait limiter les dommages de la guerre, voire l’éviter, contribue à paralyser l’état qui veut et doit faire la guerre pour protéger les siens ou ses alliés. Le Droit qui devait protéger l’homme dans la guerre (dont les civils) est devenu un droit contre la guerre, qui ne protège plus les hommes mais une idée assassine de la paix (ainsi la commission des droits de l’homme de l’ONU était-elle dirigée il y a peu encore par les représentants de pays tyranniques tels que la Libye ou la Syrie).
Les nations se sont paralysées par les constructions juridiques nationales et internationales, évacuant l’idée de guerre, déclarant un monde pacifique. Tandis qu’ils glorifient, célèbrent les droits de l’homme (qui deviennent incantatoires) et l’« universel », les nations se cachent leur impuissance, leur paralysie, d’action et de jugement face au terrorisme. En renonçant à la guerre, on laisse en effet le peuple de plus en plus en danger, exposé au terrorisme. Les Institutions (l’Armée) en Europe seraient capables de défense du pays ou de l’Europe en cas d’attaques à grande échelle externes ou internes ? 
On remarque que concomitamment à l’affaiblissement de l’État, du patriote et du citoyen, au discrédit honteux porté sur la nation, l’histoire du pays, l’Armée, les nationalismes connaissent un grand succès.

La mise en spectacle s’accompagne d’une régression lisible dans la série : homicide, meurtre, assassinat, sacrifice. Ainsi ce que mettent en scène et filment les islamistes sont des sacrifices humains. 
Et les journalistes et les industries de l’image qui les relaient, comme les spectateurs qui les regardent, sont piégés dans une participation à ces régressions manifestes et vertigineuses.
La fascination exercée via les écrans par les exactions des hordes primitives, en l’occurence des islamistes assassins en masse, semblent rencontrer les réminiscences d’un passé archaïque, du temps des sacrifices humains. Notre Occident serait-il paralysé par la jouissance de cette remontée, du spectacle en boucle, des viols, des décapitations, dont nos actualités se repaissent ? A-t-il perdu le jugement, devant cette levée du refoulement fondateur ? Comment ne pas se poser ces questions lorsqu’on le voit, fixe, passif, soumis, voire défilant avec les suppôts des assassins.
Les meurtres collectifs, les massacres ont-ils remplacé les sacrifices humains que les Hébreux avaient justement abolis ? (Nathalie Zaltzman)

C’est donc une guerre qui ne dit pas son nom qui a lieu, ou plutôt qui doit avoir lieu, qui doit être clairement déclarée ; une guerre pour la civilisation, pour le langage. La guerre d’une civilisation qui sait son avenir fait de désillusion, dont l’avenir passe par la désillusion, dirait-on à la suite de Nathalie Zatlzman.
Car une destructivité majeure, inconnue est à l’œuvre, indéfinie, trouble, ignorant et détruisant les frontières qui font, qui faisaient l’homme ; non pas seulement les frontières des États, mais encore les frontières de l’éthique, les frontières entre le réel et le virtuel, les frontières entre le civil et le militaire. C’est une destructivité qui se produit dans le tissu même de nos sociétés, qui atteint leur capacité de résistance, de défense, et qui infuse dans nos psychismes, par l’intermédiaire des machines médiatiques propageant ses actions.
Comment combattre cette psychologie de masse qui menace de faire basculer l’humanité dans le chaos de Béhémoth ?
Quelles sont nos armes dans cette guerre ?
Il y a celles des militaires, mais il y a aussi celles qui conviennent aux terrains des images et des discours qui peuplent nos existences. Ce sont les armes du jugement et de la connaissance, de la capacité de discerner et de parler, de raisonner, et ce sont les socles de nos identifications, les récits de nos peuples, de nos familles, la culture qui permet de les transmettre vivants. 
Et c’est à ce titre que nous convoquons ensemble le Droit, la Géopolitique, l’Histoire, l’Anthropologie, la Philosophie, la Psychanalyse, la Psychologie de masse, l’analyse des discours, des images et des mises en scène, etc.
Le décryptage des discours et des réalités, des idéologies politiques ou religieuses, mais aussi aujourd’hui psychanalytiques, fabricant « fausse conscience et réification de la pensée » (de l’islamisme, du marxisme, du scientisme, de la haine du féminin et du Juif..), passe par l’analyse d’un clivage défensif, entre idolâtrie et indifférence, des filiations de pensée, des alliances et des points d’accroche dans les sphères médiatiques ; il requiert de savoir imaginer les conséquences extrêmes et exterminatrices de ces moments, de ce qui caractérise notre histoire récente : des « parricides de masse » récurrents, et un contexte de dégradation des référentiels symboliques à tous les niveaux des sociétés et des psychismes individuels. Nous revient aujourd’hui de questionner cette culture européenne qui portait tant de valeurs et d’espoirs qu’elle aurait dû prévenir le désastre ; car elle le poursuivra si elle ne se remet pas en question jusqu’au plus profond.

Kertesz nommait le XXème siècle « le siècle des liquidations permanentes ». 
Pour analyser cette époque du totalitarisme, nazisme, communisme, dont nous sommes les enfants, il a fallu construire une clinique de l’horreur. Une clinique de ces crimes sans haine, sans honte et pitié, sans nom (écho au titre « Tuer sans culpabilité » d’Eugène Enriquez), pratiquant l’éradication subjective, la déshumanisation, la destruction du semblable-différent ; une clinique pour une époque dont la passion de l’inhumain « interroge la banalité du mal », la destructivité, la désémantisation, la démétaphorisation, la déshumanisation, le sadisme, la cruauté. 
Et nous faisons le triste constat que c’est la même clinique qu’il faut poursuivre dans ce XXIème siècle que l’on voit commencer dominé par l’obscurantisme, le fanatisme, et la terreur islamique ; fléaux qui trouvent d’énigmatiques et ferventes alliances avec les idéologues progressistes, le peuple des « Droits de l’Hommisme » anti-racistes et anti-fascistes, les partisans du sociologisme et d’une culture du pur narcissisme. Pour ces derniers, parler d’un « choc des civilisations » comme d’une évidence gigantesque, d’un séisme touchant toutes les zones du monde, sonne comme une agression idéologique. En témoignent la publication des Cahiers noirs de Martin Heidegger, la récente pleine page dans Le Monde accordé à l’iconique polpotiste Badiou, qui ne font que souligner de la place chronique de ces postures dans notre Occident. 
À la suite de Tocqueville, c’est à nous d’interroger les démocraties modernes sur leurs capacités à se défendre.
Aujourd’hui Obama et les siens reprochent à Israël de mettre de la morale dans la question iranienne plutôt que de faire de la politique ; et ils négocient avec l’Iran, l’État terroriste, impérialiste, appelant à la destruction d’Israël (et des États-Unis) et à l’extermination des Juifs, soutenant le Hamas et le Hezbollah, assassin des juifs d’Argentine, des civils du Yemen, de Syrie, d’Afrique.
Quelle modernité a rendu la démocratie impuissante à lutter efficacement contre la barbarie qui la menace ? Quel est ce relativisme qui la ronge et la rend complice de sa propre perte ? N’a-t-elle pas placé en excès ses espoirs dans une raison coupée d’une réflexion sur la fin de l’homme et sur le but de son existence ? Ses évitements et dénis n’avouent-ils pas pour elle la difficulté qui l’afflige : l’inhibition à penser la cruauté et l’œuvre du déshumain ; qui l’afflige et l’aveugle, comme le montre le film sur l’enlèvement et le meurtre d’Ilan Halimi.

Cette problématique ouvre à un développement annoncé pour l’an prochain : « La pensée face au déni de la réalité ».

Thibault MOREAU, Michel Gad WOLKOWICZ

Jeudi 18 Juin 2015

La cruauté « ordinaire ». Psychopathologie de la vie quotidienne

Sous la direction et la présidence de 
Michel Gad WOLKOWICZ (Professeur de Psychopathologie, psychanalyste, Président de l’Association Internationale Inter-Universitaire Schibboleth — Actualité de Freud —)

Introduction 
Patrick BANTMAN (Psychiatre des Hôpitaux, thérapeute familial)
Philippe ROBERT (Professeur de psychologie, psychanalyste, thérapeute familial)
Conférences 
DanièleBRUN (Professeur de Psychopathologie, psychanalyste) 
« La cruauté obligée — dans la vie familiale, collective, entre enfants, dans l’amitié »
« Par cruauté obligée, j’entends plusieurs processus psychiques ayant force de loi intérieure. Dans ce contexte, j’aborderai successivement :
« La cruauté de la vie : vie familiale, vie collective. Qui dit cruauté dans cette optique dit nécessairement cruauté envers les autres mais aussi envers soi-même, en raison d’une passivation devant des événements face auxquels on souhaiterait se révolter. Le dernier film de Vincent Lindon récemment primé à Cannes me servira d’illustration. Il s’agit de La loi du marché
« La cruauté entre enfants : Celle qui se joue de la censure et de ce que l’autre, surtout s’il est d’une classe sociale inférieure, peut ou non supporter. Ici aussi un film me servira d’illustration. Gente de bien, film colombien. On y voit des enfants, jaloux de l’accueil que leur mère réserve au fils d’un menuisier, exercer leur cruauté au quotidien sur le rival haï.
« La cruauté dans l’amitié : De l’amitié, on attend qu’elle aide, que l’autre aide à surmonter la cruauté du destin et l’implacable de la perte ou de la menace de mort. L’attente déçue est à la fois cruelle et crue autrement dit castratrice. »

Serge HEFEZ (psychiatre, thérapeute familial)
« La cruauté dans les relations familiales »

Simone WIENER (psychanalyste) 
« Quelle cruauté dans l’image de soi, dans la quête d’identité ? Les tatouages »
Réflexion sur les pratiques de tatouage comme phénomène contemporain, afin d’en saisir les enjeux, en partant de la barbarie des marques déshumanisantes pour aller vers ce qui passe aujourd’hui. Le propos se nourrira des lectures d’une nouvelle de Tanizaki, qui met en évidence la dimension cruelle et érotique du tatouage, et de celle de Kafka, intitulée « La colonie pénitentiaire ».

Bernard GRELON (Professeur de Droit, avocat) 
« La cruauté dans le champ juridique »

Pascal BRUCKNER (philosophe, essayiste, écrivain) 
« La cruauté du père »

Discutants 
Marc COHEN (médecin-gériatre, directeur médical de l’OSE) ; Michèle LÉVY-SOUSSAN (médecin interniste hospitalier, Pitié-Salpétrière) ; Didier LIPPE (psychiatre, psychanalyste) ; Sophie NIZARD (sociologue, CNRS) ; Serge RAYMOND (psychologue hospitalier) ; Daniel SIBONY (psychanalyste, essayiste) ; Monette VACQUIN (psychanalyste, Comité d’Éthique) ; Marilyn VINOGRAD (psychiatre des Hôpitaux, psychanalyste) ; Éva WEIL (psychanalyste).

Argument 
Le décours du séminaire de cette année nous en a donné force exemples, la cruauté n’est pas réservée aux situations extrêmes ; elle se développe très naturellement sur toutes les scènes de la vie de l’individu, des plus ordinaires aux plus extraordinaires. 
C’est à ces manifestations de la cruauté dans la vie quotidienne que sera consacrée la dernière séance de cette saison 2014-2015. Les conférenciers porteront leur éclairage à la jonction des scènes et des coulisses de la vie relationnelle familiale, amicale, passionnelle, professionnelle… dans l’amour impitoyable, l’amitié versatile, les interactions frères-sœurs et intergénérationnelles, dans les conflits de filiation ; dans les parages des enjeux d’envie, de pouvoir, d’alliance, de rivalité, de reconnaissance, dans les problématiques identitaires, là où s’articulent les couples narcissique/sexuel, intimité/transparence, sujet/objet, singularité/appartenances, culture/modernité ; et nous tenterons de distinguer les facteurs contrariant ou favorisant les développements de ces cruautés ordinaires : les « progrès » techniques, scientifiques et bio-médicaux, les références à l’éthique, au Droit, les représentations collectives des structures familiales, de la temporalité, et leurs évolutions, le rôle du subjectivisme et de la pensée opératoire, de la rationalité instrumentale, etc.

Michel Gad Wolkowicz & Thibault Moreau

Intervenants au séminaire

Janine Altounian, Jacques Amar (Univ. Paris-Dauphine), Alexandre Arcady (cinéaste), Patrick Bantman (C. H. Esquirol), Adrien Barrot (Univ. Paris XII, Créteil), Mickaël Bar Zvi (Univ. Tel Aviv), Isi Beller (Société Freudienne de Psychanalyse), Florence Ben Sadoun (journaliste et critique de cinéma) ; Georges Bensoussan (Mémorial de la Shoah), Danielle Brun (Univ. Paris-Diderot, Espace Analytique), Pierre-Antoine Chardel (philosophe et sociologue, docteur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, professeur de philosophie sociale et d’éthique à Télécom Ecole de Management, directeur adjoint du Laboratoire Sens et Compréhension du Monde Contemporain (LASCO), Université Paris Descartes / Institut Mines-Télécom), Claudine Cohen, Marc Cohen (OSE, TPI), Raphaël Draï (Univ. Aix-Marseille, Amiens, Paris-Diderot), Corine Ehrenberg (Association Psychanalytique de France, USIS), Frédéric Encel (Sciences-Po Paris), Eugène Enriquez (EPHPH, Univ. Paris-Diderot), Patrick Franquet (C. H. Orsay), Georges Gachnochi (Société Psychanalytique de Paris, Copelfi), Fanny Gerber (Association Psychanalytique de France), Bernard Grelon (Univ. Paris-Dauphine), Bernard Golse (C. H. U. Necker, Univ. Paris-Descartes, AFPPEA, SFPEADA, Association Psychanalytique de France), Serge Hefez (C. H. Maison-Blanche), Christian Hoffmann (Univ. Paris-Diderot, Espace Analytique), Emmanuel Jeuland (Univ. Paris-Sorbonne-Panthéon), Muriel Katz (Univ. Lausanne), Anne-Marie Leroyer (Univ. Paris-Sorbonne), Didier Lippe (IMM, Association Psychanalytique de France), Jocelyne Malosto (Association Psychanalytique de France), Éric Marty (Univ. Paris-Diderot, CR. Les Temps Modernes, Éd. Manucius, coll. « Littéra » & « Le marteau sans maître »), Sylvie Méhaudel (C. H. Orsay), Valérie Mirabel (CHU Saint-Antoine, CEREP, Association Psychanalytique de France), Thibault Moreau (C. H. U. Reims), Isy Morgensztern (ex. Arte), Jean-Jacques Moscovitz (Espace Analytique, Psychanalyse Actuelle), Hervé Movschin (CEREP, Association Psychanalytique de France), Sophie Nizard (Univ. Strasbourg, CEIFR, CNRS-EHSS), Philippe Robert (Univ. Paris-Descartes ; Psyfa, Société Psychanalytique de Paris), Rachel Rosenblum (Société Psychanalytique de Paris), Valérie Roumengous (Association Psychanalytique de France), Georges-Elia Sarfati (Univ. Paris-Sorbonne, Paris-Descartes, Centre Universitaire Sigmund Freud, A. F. I. de victimologie de l’enfant et de sa famille), André Sénik, Daniel Sibony, Jacques Tarnéro (ex-CNRS/CSI), Danielle Tchenio (C. H. Orsay), Shmuel Trigano (Univ. Paris-Défense-Nanterre), Cosimo Trono (Université Paris-Villetaneuse, Éditions Penta) ; Sam Tyano (Univ. Tel Aviv – Isr –, Association Mondiale de Psychiatrie), Henri Vacquin, Monette Vacquin (Comité d’Éthique, Collège des Bernardins), Eva Weil (Société Psychanalytique de Paris), Simone Wiener (Encore), Jean-Pierre Winter (Coût Freudien), Daniel Zagury (C. H. Ville Évrard), Michel Gad Wolkowicz (président de Schibboleth — Actualité de Freud —, Univ. Paris 11, Orsay, France, Univ. Tel Aviv, Israël, Univ. Glasgow, Royaume Uni, Association Psychanalytique de France), Paul Zawadzki (Univ. Paris-Sorbonne, EPHE, I. S. Lévinas)